Périgée au Frioul

2011 / 2015

Travaux

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On n’entend pas d’oiseaux parmi ces pierres, seulement, très loin, des marteaux.
Oiseaux, fleurs et fruits. Jaccottet, Airs, 1961-64.


De temps à autre, il nous est donné, par on ne sait quelle grâce, de retrouver nos sens. Ce sentiment d’une durée absolue où tout s’étire n’a rien à voir avec la paralysie ! Il s’apparente à une langueur qui nous rattache à ce que l’existence a de plus profond. Qui n’a connu cet instant face à la mer? Entre mélancolie et bonheur profond, nous ne pouvons choisir. D’un seul coup, d’un seul, en contemplant les roches au lointain, la conscience de ce moment envahit tout. Dans la lumière continuellement changeante de la nuit, l’astre nocturne fige l’eau, la livrant minérale au regard. Rien ne se sépare de rien. La roche, elle, peau de serpent, se répand dans une matière pâteuse et enveloppante. A l’écoute des temps géologiques, la photographie tente de rétablir des liens entre l’homme et les éléments. Elle emprisonne toute chose dans une matière unique, marbrée. Dans ces scènes interchangeables coexistent et se fondent temps et matière.


La Genèse gratifie la terre de deux lampadaires ! Faisant face aux îles du Frioul, Sébastien Normand s’abandonne à la nuit illuminée par le « grand luminaire ». L’essence même de la lumière lunaire s’affranchit du rayonnement solaire. Longtemps on a conjecturé sur les vertus supposées de la lueur nocturne. Absorbant les rayons du soleil, la Lune la stocke en quantité ! Elle n’est pas un simple reflet mais une source d’énergie propre. Considérant les lendemains avec indifférence, ne souhaitant que les émissions sélènes, le photographe charge les images d’une énergie diffuse et uniforme. Cet événement d’un temps qui laisse si peu de place aux traces futiles fait de la
prise de vue un moment contemplatif. Le photographe nous restitue le monde sous sa forme phénoménale. Dans ce que l’oeil peut saisir, les temps antédiluviens ressortent sur des fonds presque monochromes, entre bleus et gris. L’appareil ne craint pas d’affronter la nuit habitée par des choses invisibles à la lumière diurne. Les variations d’intensité de cette lueur sont des indices de mesure d’un temps hors de l’histoire. Sous l’influence de la lune, ce n’est pas seulement le regard qui se modifie mais la conscience de la modification des choses.


Le photographe se concentre lors de ses excursions sur les réactions optiques des éléments sous l’effet de cet étrange bombardement. Il s’intéresse plus précisément aux zones de contact, aux moments de jonction entre la surface unie de ce bleu et ces rocs grisâtres. Partant de cette composition visuelle simple, il enregistre l’uniformisation de la matière en une gamme chromatique aux contrastes délicats. Au spectateur de percevoir les dissemblances et les similitudes entre les multiples nuances de textures. En ne se référant plus, en aucune manière, à l’espace historique, la Méditerranée, la série monochrome enregistre la disparition du fragment
sans relief.


Les îles, ces formes statiques aux limites du fantastique, relient le bas et le haut. On pourrait se laisser aller et renouer avec les vieux principes romantiques. Mais le photographe est inquiet, loin de la fascination pour les petits effets poétiques du paysage, il nous fait voir diverses traces de l’activité humaine : des forts, du militaire et du carcéral. Ce monde minéral s’ouvre vers les enfers, vers le néant du monde des ombres. La photographie à cet instant n’est plus l’analogue de la nature. Elle a converti physiquement la luminosité en impressions dantesques. Voilà pourquoi la fusion des rochers et de la mer dessine un territoire d’instants à la fois intemporels et immobiles. La roche et l’eau ici, nous rendent à ce que nous sommes, une manifestation de quelque chose qui nous dépasse. La photographie établit une porte d’entrée vers le sensible, entre joie profonde et anxiété.

Des lignes subtilement enregistrées, de couleur rouge comme du mercure, assurent la présence des hommes. Leurs gestes ne sont plus que des stries mécaniques. La vie se fige neutralisée par l’eau et emprisonnée dans la pierre. Ces empreintes, on ne sait de quoi elles sont faites. Juste avant l’oubli, elles témoignent de passages et de flux. Les images captent, là encore, la confrontation de deux mondes et de deux temporalités réunies. Les actes des humains, à peine visibles, en regard des matières premières apparaissent pour ce qu’ils sont ; de peu d’importance. Mais ces espaces réels illuminés par la lune, entre sublime et désastre, font surgir en nous
le sentiment d’apercevoir la représentation de l’immatériel et de l’inexplicable.

François Cheval, 2014
Conservateur du Musée Nicéphore-Nièpce